Samurai Bond ivoirien : percée historique ou pari risqué pour les finances de la zone UMOA ?

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Samurai Bond ivoirien : percée historique ou pari risqué pour les finances de la zone UMOA ?

La Côte d’ivoire a émis le 17 juillet 2025 un Samouraï Bond historique de 50 milliards de yens (336 MUSD) à taux fixe de 2,3% sur 10 ans, devenant le premier pays d’Afrique subsaharienne à accéder au marché japonais.

Cette émission labellisée durable (ESG) et garantie par la Japan Bank for International Cooperation (JBIC), s’inscrit dans une stratégie agressive de diversification financière, après un eurobond de 1,75 Md USD en mars 2025 et une émission locale de 220 Md FCFA (388 MUSD).

L’émission locale de mars 2025 était déjà en elle-même une innovation financière, en tant que première émission obligataire libellée en franc CFA sur le marché international par un pays africain avec un remboursement en Euros (qui permet un transfert du risque de change aux investisseurs, toutefois maîtrisé à cause de la parité fixe EUR/XOF). La Côte d’Ivoire démontre à travers ces différentes opérations hors de la zone UMOA, sa capacité à structurer des montages financiers complexes et accroitre sa visibilité auprès des investisseurs internationaux dans un contexte de dette publique maîtrisée (58,1% du PIB) et d’une croissance attendue à 6,3% en 2025. La percée ivoirienne sur les marchés financiers internationaux, notamment en yens (Samurai Bond) et en FCFA côté Londres,  pose une interrogation importante à savoir  :

  • Le succès ivoirien peut-il être répliqué par les autres pays de la zone UMOA ?

Pour répondre à ces interrogations, il convient de rappeler que le Samurai Bond, est une obligation libellée en yens émise par un emprunteur étranger sur le marché japonais. Le recours au Samurai Bond, par la Côte d’Ivoire, s’inscrit dans sa stratégie de diversification de ses sources de financement et accès à un marché obligataire parmi les plus liquides au monde.

Le succès ivoirien n’est pas un hasard, en effet en dépit des tensions politiques dans le pays, les investisseurs continuent de faire confiance aux fondamentaux macroéconomiques solides affichés par la Côte d’Ivoire (croissance estimée à 6,3 % en 2025, dette publique à ≈ 58,1 % du PIB).

Le profil financier du pays reste rassurant pour les créanciers et ce facteur confiance, permet donc au pays d’accéder à des conditions financières favorables dans le cadre de cette opération (taux de 2,3 % sur 10 ans) dans un contexte international tendu. C’est une performance rare pour un pays africain qu’il faut reconnaitre et saluer.

La Côte d’Ivoire a également compris l’intérêt du label ESG en inscrivant cette émission  en yens dans un cadre “Sustainable Bond” aligné avec les normes ICMA ciblant des projets durables. Ce qui a sans doute représenté un argument marketing fort auprès des investisseurs japonais sensibles aux enjeux climatiques et sociaux.

 La garantie stratégique de la JBIC, notée A+, a permis certainement de sécuriser les investisseurs et d’abaisser le coût du risque. La Côte d’Ivoire récolte aussi avec cette opération les fruits de sa diplomatie économique active (le roadshow d’avril 2025 a probablement permis de rencontrer les plus grands institutionnels japonais, gage de sérieux et d’ambition).

 

Cependant, tout succès comporte également des risques. En effet, la Côte d’Ivoire, ne doit pas négliger non plus plusieurs risques, liés à cette opération.

Au nombre de ces risques, on peut citer en premier, le risque de change.  En effet , les recettes de l’État ivoirien sont en francs CFA, mais la dette est libellée en yens. En cas de fluctuation défavorable JPY/USD, ou JPY/EUR le coût réel du remboursement pourrait exploser.

Pour rappel, il n’existe pas de parité directe officielle entre le yen japonais (JPY) et le franc CFA BCEAO (XOF). En pratique, le taux JPY/XOF est obtenu indirectement par croisement via une devise pivot, généralement l’euro (EUR) ou le dollar américain (USD). D’après notre analyse, depuis deux ans, le taux indirect JPY/XOF a globalement oscillé entre environ 3,75 et 4,23 XOF pour 1 JPY. Le taux moyen reste stabilisé autour de 4 XOF pour 1 JPY, mais les fluctuations observées (±5 % environ en 2025) exposent clairement la Côte d’Ivoire à un risque de change non négligeable. Un bond vers 4,22 XOF signifie un coût plus élevé pour l’État ivoirien sur ses obligations en yens, tandis qu’un recul vers 3,75 XOF réduit ce coût.

Le ministère des Finances et le Trésor Public ivoirien vont certainement devoir scruter à la loupe les évolutions du YEN par rapport à l’USD et à l’EUR, en espérant également qu’une dévaluation du XOF par rapport à l’EUR n’intervienne pas.

En dehors de ce risque de change, le pays devra être attentionné vis-à-vis d’autres éléments tels que les risques juridiques induits par ces types d’opérations complexes, sa notation souveraine, et surtout le respect effectif des exigences ESG dans l’utilisation des fonds mobilisés.

Le risque opérationnel (documentation en japonais et compétences des ressources humaines impliquées) ; le crédit (sans la JBIC, l’accès au marché aurait été plus coûteux, voire impossible) ; le  risque de réputation (une mauvaise affectation ou un défaut de transparence pourrait altérer la crédibilité acquise et remettre en cause de futures opérations sur le marché nippon réputé très exigeant) ; le risque de dilution (si les fonds ne génèrent pas de retombées productives)  sont à piloter rigoureusement.

Pour cette opération, le vrai défi des autorités ivoiriennes sera donc de prouver que le marché financier japonais a eu raison de leur faire confiance.

Les autres pays de l’UMOA peuvent t’ils facilement suivre l’exemple ivoirien ?

En effet, le succès ivoirien donne à penser qu’un modèle alternatif est en train d’émerger, mais il ne s’agit ni d’une formule magique, ni d’une solution universelle. Pour résumer, seuls les pays pouvant s’aligner sur les prérequis ci-après peuvent espérer à leur tour lever de la dette nipponne :

  • Situation macroéconomique saine et une bonne notation souveraine
  • Projets ESG matures et traçables
  • Capacités internes pour la structuration juridique et financière
  • Partenariats bilatéraux solides, notamment avec le Japon ou d’autres bailleurs asiatiques
  • Une diplomatie proactive et crédible

En terme de classement, par rapport à ces critères, deux pays pourraient à court terme suivre le chemin de la Côte d’Ivoire à savoir le Bénin et le Sénégal.

En effet, le Sénégal et le Bénin disposent de solides atouts pour envisager une opération de type Samurai Bond, mais avec des limites spécifiques. Le Sénégal bénéficie d’une forte croissance (8 % attendus en 2025), d’une expérience sur les marchés internationaux et d’un portefeuille de projets ESG prometteurs. Cependant, sa dette publique élevée (75 % du PIB) et les tensions politiques récentes constituent des freins, tout comme l’incertitude sur l’accès à une garantie type JBIC. Le Bénin, plus modeste en taille économique, affiche une gouvernance budgétaire exemplaire et une stratégie ESG avancée, saluée par les bailleurs internationaux. Il a déjà émis un Green Bond avec succès et dispose d’un cadre technique solide. Toutefois, il reste peu présent diplomatiquement en Asie et devra renforcer ses relations bilatérales avec le Japon.

Les deux pays (Sénégal & Bénin) pourraient émettre des Samurai Bonds dans un format réduit et accompagné. Ils devront structurer leurs projets ESG de manière rigoureuse et mobiliser un soutien multilatéral pour sécuriser des garanties. La Côte d’Ivoire reste donc à ce jour un cas pionnier difficile à égaler sans une forte préparation. Toutefois, l’exploit ivoirien pourrait néanmoins servir de tremplin pour renforcer la présence UEMOA sur les marchés obligataires asiatiques. Cependant, pour rendre cette dynamique scalable, il faudra aller plus loin à savoir :

  • Renforcer le rôle de la BCEAO, de la BOAD et de la Commission UEMOA comme accompagnateurs techniques et facilitateurs de ce type d’opérations.
  • Créer une plateforme régionale de diplomatie financière orientée vers les marchés asiatiques.
  • Mettre en place une feuille de route UMOA–Marchés non traditionnels intégrant les marchés japonais, chinois et coréens.

Pour conclure, l’émission du premier Samurai Bond ivoirien est un signal fort de la capacité des économies africaines à s’intégrer dans les circuits financiers mondiaux alternatifs. Mais la scalabilité de ce modèle suppose des prérequis exigeants, notamment solidité macroéconomique, rigueur ESG, expertise technique, et diplomatie ciblée.

Pour les pays de l’UMOA, cette opération doit être perçue non comme une formule à copier, mais comme un cap stratégique à viser, dans une logique de différenciation et d’innovation financière maîtrisée.

 

 

Par Prosper Ifèdé ALAGBE

Président du réseau 2i-Afrique et fondateur de FoFoMentor.com

Senior Lead Risk Manager

– Juillet 2025

 

1 réflexion sur “Samurai Bond ivoirien : percée historique ou pari risqué pour les finances de la zone UMOA ?”

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